Les défis des fermes perlières
L'élevage des huîtres
Utilisation des ressources naturelles
Les premières fermes perlières ont assemblé leur cheptel à partir des ressources naturelles. Les fermes, qui peuvent compter des centaines de milliers d'huîtres, se sont donc très vite retrouvées confrontées à la raréfaction de l'animal dans la nature.
Récits de Jacques Branellec
On écoute toujours avec étonnement Jacques Branellec, pionnier de la culture perlière en Polynésie, raconter comment il pilotait son vieil hydravion pour récupérer d'atoll en atoll des baquets remplis d'huîtres pêchées par les Polynésiens, et transporter simultanément des femmes enceintes à l'accouchement difficile vers les hôpitaux.
Passage à l'aquaculture
Cette ponction de pintadines sauvages dans la nature n'eut qu'un temps, et très vite il fallut en arriver à l'aquaculture, qui assure désormais la quasi-totalité du cheptel nécessaire aux fermes sur le territoire polynésien. Ce n'est pas encore le cas pour l'Australie, qui impose des quotas de pêche d'huîtres sauvages Pinctada maxima. Environ cinquante pour cent des perles australiennes proviennent des huîtres perlières sauvages.
Les naissains
Récupération du naissain
Une méthode traditionnelle d'élevage, utilisée depuis un siècle, consiste à récupérer le naissain, mot qui désigne les jeunes huîtres. Celles-ci naissent de la fécondation dans l'eau de mer des œufs libérés par les huîtres femelles et du sperme lâché par les huîtres mâles. Les œufs fécondés se métamorphosent rapidement en larves mobiles. C'est le stade planctonique qui dure environ un mois.
Stade de naissain
Lorsqu'il leur pousse un « pied » et que se forme l'embryon de coquille, on parle alors du stade de naissain. Les jeunes huîtres viennent trouver refuge en se fixant sur les collecteurs qui étaient faits jadis de branchages et aujourd'hui de masses de lanières de plastique enchevêtrées et entourées d'un grillage. Les collecteurs sont suspendus à des câbles. Les naissains y grandissent en grappes : ce sont les « juvéniles ».
Les juvéniles
En Polynésie française, ces juvéniles sont échangés d'un atoll à l'autre, certaines grandes fermes ayant plus de capacité de collectage que les petites exploitations.
Les atolls fermés se prêtent particulièrement bien à capter le naissain, alors que les atolls avec au moins une passe ouverte sur l'océan sont plus propices à la culture. Ces échanges favorisent un brassage génétique nécessaire à la qualité et à la résistance des huîtres.
Toutefois, la consanguinité reste un problème. Dans la plupart des fermes, on pêche des huîtres sauvages pour apporter un capital génétique nouveau.
Production des huîtres en conditions contrôlées
En ce nouveau siècle, les fermes à la pointe ont décidé de réaliser la production des huîtres perlières entièrement hors océan, en conditions contrôlées.
♦ La libération du sperme et des œufs est menée dans des bacs et la fécondation est contrôlée.
♦ Ce sont des chocs thermiques qui déclenchent chez l'huître le processus reproductif.
♦ Les larves sont réparties dans des bacs où elles croissent librement jusqu'au stade de naissain.
♦ Elles seront ensuite transférées dans d'autres bacs qui contiennent des collecteurs sur lesquels elles pourront se fixer.
♦ La nourriture est entièrement contrôlée par des laboratoires de nutrition où est cultivé le phytoplancton qui nourrit le naissain. Il s'agit donc d'opérations in vitro.
Avantages de la méthode
♦ Le cycle de production des huîtres perlières est entièrement sous contrôle. Les animaux à l'état larvaire ou les juvéniles sont inaccessibles à leurs prédateurs naturels.
♦ Les techniques génétiques actuelles permettent de sélectionner les géniteurs en fonction de leur résistance et de la qualité de leur nacre.
Des fermes pilotes en ce domaine affichent des résultats spectaculaires. C'est le cas en particulier de la société australienne Atlas South Sea Pearl, qui exploite une ferme de Pinctada maxima au nord de Bali.
Marquage génétique
Les lignées génétiques des huîtres sont suivies et déterminent les choix des « parents ». Chaque huître possède un marquage qui permet de la situer dans un arbre généalogique portant les indications de qualité. Ces techniques ont un coût important, et nécessitent aussi une grande compétence de nos jours inaccessible à beaucoup de fermes. Seules les grandes compagnies peuvent se permettre ce mode de production des huîtres.
Jewelmer
La société philippine Jewelmer, avec ses huîtres à lèvres dorées, dispose de mollusques entièrement produits en nurseries contrôlées.
Atlas South Sea Pearl
Atlas South Sea Pearl a quant à elle un atout considérable :
♦ La personnalité de son directeur scientifique, Joseph Taylor, grand biologiste marin, passionné par les huîtres et leur reproduction.
♦ Il était très bien placé pour se lancer dans la pratique de la sélection génétique de ses populations d'huîtres.
♦ Il dispose d'une extraordinaire connaissance de toutes ses huîtres, dont il peut suivre les filiations.
♦ Il agit par la sélection d'huîtres selon leur pedigree parfaitement tracé et repéré pour la qualité de leur nacre, la vitesse de leur croissance, et la résistance à l'opération de greffage.
À Tahiti, ce sont des efforts gouvernementaux qui permettent de financer de telles recherches, au bénéfice de toutes les fermes.
Le marché et ses aléas
La perle est un produit de luxe et de mode. Son marché est incertain. La jeune génération n'est pas très en faveur de la perle, qui véhicule, dans sa tradition classique - le rang de perles -, une image démodée. La création de nouveaux bijoux est une nécessité, mais souvent ces bijoux valorisent des perles individuelles, en pendants de colliers ou de boucles d'oreilles. Un collier de perles consomme une cinquantaine de perles, alors qu'un pendentif portant une perle en solitaire n'en utilisera qu'une seule. Enfin, les coûts de production des grandes perles, dont celles de Tahiti et des mers du Sud, sont élevés alors que le marché est tiré vers le bas, tant en qualité qu'en prix, par les perles d'eau douce chinoises produites par centaines de tonnes à des coûts dérisoires.
Crise économique
La crise économique qui a commencé en 2008 a frappé de plein fouet les fermes perlières, dont on ne peut prévoir combien résisteront à la brutale contraction du marché. Les difficultés économiques, en asséchant les trésoreries disponibles, poussent aussi les fermes à récolter plus tôt, plus vite, au détriment de l'épaisseur de la couche de nacre. Quant à la recherche, les sommes allouées se raréfient alors que les fermes doivent expérimenter davantage et augmenter le rendement et la qualité.
Crise de la perliculture en Polynésie française
En Polynésie française, la perliculture subit actuellement une crise ravageuse. Tout a commencé en juin 2008, avec une désastreuse vente aux enchères de perles à Hongkong. Les prix offerts étaient en chute libre, mettant en péril toute la filière perlière de ce territoire dont les ressources sont limitées. Le tourisme en Polynésie, l'autre activité génératrice de revenus, est aussi tombé à un niveau extrêmement bas, en raison du coût élevé de cette destination :
♦ Prix des vols élevés,
♦ Coût onéreux de la vie sur place.
On assiste donc à une plongée en eau profonde de l'économie locale. La perle, fortement taxée, assure en effet des revenus essentiels aux îles. A court terme, il y aura un réajustement. Beaucoup de fermes vont disparaître. Survivront les grandes, et peut-être aussi les petites qui se contentent d'une main-d'œuvre familiale. Même l'empereur de la perle de Tahiti, Robert Wan, traverse une période difficile. Quant au groupement d'intérêt économique GIE Perles de Tahiti, il a été déclaré en faillite. Au premier semestre 2008, 3 175 409 perles ont été vendues, contre 4 366 784 pour la même période en 2007. L'année 2009 est bien pire.
Aléas biologiques et climatiques
Différentes affections des huîtres
La perliculture traite avec le vivant. Les risques inhérents à ce type d'activité sont multipliés ici en raison de la fragilité de l'huître, animal filtrant sensible à de nombreux facteurs potentiellement mortels.
Marée rouge
Les Japonais ont beaucoup souffert des marées rouges, une invasion planctonique qui tue les huîtres.
Invasions bactériennes
Les fermes chinoises et japonaises ont aussi été dévastées récemment par des invasions probablement bactériennes. En 1996, près de la moitié des fermes de la baie d'Ago ont disparu, après la mort de plus de cinquante pour cent des huîtres.
Maladies infectieuses
Une maladie infectieuse est l'autre cause principale de la forte mortalité des huîtres perlières japonaises. Il s'agit d'une infection qui endommage le muscle adducteur de l'huître, qui finit par mourir asphyxiée et affamée.
La perliculture au Japon, minée par les aléas biologiques, la vente de perles de mauvaise qualité et la rude concurrence chinoise, n'est que l'ombre de ce qu'elle fut à la fin des années 1960. Le groupe Mikimoto, heureusement, pour la réputation du Japon, maintient une tradition de qualité irréprochable en pratiquant des sélections rigoureuses auprès des meilleures fermes.
Élévation du niveau des océans
Les changements climatiques qui s'annoncent inévitables représentent très probablement le plus grand péril. Cet immense danger est de deux sortes :
♦ L'élévation imparable du niveau des océans va obliger un grand nombre d'installations perlières à se relocaliser.
♦ Cette montée des eaux, due en grande partie à la fonte des glaces d'eau douce, va entraîner une baisse de la salinité de la mer.
Or, les huîtres sont très sensibles à ce dernier facteur. Certes, le péril est progressif et risque d'affecter les fermes dans les décennies à venir. Le danger est pressant en revanche le long des côtes, où les pluies de plus en plus violentes qui s'abattent sur les terres adoucissent l'eau de mer sur plusieurs kilomètres vers le large. Avec le ruissellement de cette eau douce se déverse aussi de la boue, qui asphyxie les huîtres.
Mortalité des huîtres
On pense qu'un tel phénomène pourrait être responsable de la brutale mortalité observée ces deux dernières années dans les fermes marines de Chine, en particulier sur l'île de Hainan et la côte continentale face à cette île. Mais le changement climatique se manifeste également par des phénomènes météorologiques brutaux toujours plus fréquents :
Ouragans
Les ouragans, dont la violence s'est indiscutablement accrue ces dernières années. La force destructrice de ces épisodes climatiques soudains est fatale aux fermes. S'il est possible de s'adapter à des variations sur le moyen terme, il est impossible de protéger une ferme d'un ouragan, même annoncé des dizaines d'heures à l'avance.
Il apparaît de plus en plus que le changement climatique auquel on assiste n'est pas un événement lissé dans le temps, mais qu'il se manifeste par des sautes d'humeur violentes. Les destructions soudaines et la mort lente des huîtres, qui ne pourront survivre aux changements de composition et de température de l'eau de mer, seront le lot de bien des fermes perlières.
Variations rapides de la température de l'eau
Les variations brutales de température de l'eau ont aussi des conséquences dramatiques. En 2006, un brusque refroidissement des eaux du Japon a tué cinquante pour cent des huîtres et a empêché la croissance nacrière et la greffe de celles qui ont survécu.
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