Athènes la nuitPendant toute la période qui va de la Grèce Antique à nos jours, le concept de luxe a été l’objet de conflits profonds et permanents entre les tenants du luxe comme moteur et embellissement de la société, et ceux du luxe comme ennemi de la virtus.

 

Dans la Grèce antique, cela est illustré par le conflit séculaire entre Athènes et Sparte, le plus illustratif peut-être de cette opposition de concepts sociaux, car beaucoup de livres ont été écrits à ce sujet. Par ailleurs, dans l’Italie antique, lorsque la puissance militaire de Rome l’eut mise à l’abri de ses ennemis  externes, ce fut le conflit entre les tenants de la République originelle, de son austérité et de son apologie de la virtus, et ceux d’une société civile plus douce à vivre. Ces derniers finiront par gagner et ce sera la Rome Impériale, son raffinement et son luxe, que l’histoire retiendra.

 

L’âpreté et la récurrence de ce conflit entre deux choix fondamentaux de société (société guerrière, masculine Yang et austère, contre société pacifique, féminine, Yin et sophistiquée), avec une prise de position claire pour ou contre le luxe allant jusqu’à la guerre civile, montre à quel point la notion de luxe est importante.

 

Ces conflits ne sont pas limités à l’Antique classique, ni même à l’Antiquité classique, ni même à l’Occident. De tout temps, des lois somptuaires ont été édictées, que ce soit en période de (relative) stabilité sociale ou en période de graves troubles sociaux (guerre de religion en France).

 

Sans atteindre systématiquement un degré élevé de violence, réelle  ou légale, ce conflit traverse de tout temps et en tout lieu toute société humaine (cf l’étiquette à la cour de France) et il persiste de nous jours dans nos sociétés occidentales, et particulièrement en France autour du débat entre le luxe comme insulte aux pauvres et le luxe comme source d’emplois qualifiés et stables. En quelque sorte, c’est très bien de produire du luxe mais très mal de l’acheter. Voila une aporie bien française !

 

La chose à en retenir est que le luxe est et a de tout temps été un enjeu sociologique majeur pour toute société, car il est lié à la fois à la stratification sociale, à la notion d’utilité pratique et de gaspillage et enfin aux choix de répartition de la richesse. En conséquence, la notion de luxe n’est pas socialement neutre. Bien au contraire, dans une grande mesure, ce qui est luxe est défini par la société. Ceci est vrai de toutes les sociétés, même contemporaines. Un arsenal de taxes spécifiques (TVA, taxes d’importation) s’ajoute aux méthodes éternelles d’interdiction pour définir si un produit est un produit de luxe ou non. C’en est d’ailleurs souvent la meilleure méthode de définition. Les tentatives de définition absolues de luxe achoppent en effet systématiquement sur la relativité sociologique de ce concept. Le vieil adage vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà s’applique parfaitement au luxe.

 

Dans ces conditions, il n’est pas surprenant que le profond remaniement de la société occidentale au XVIIIe siècle, dans le cadre de la philosophie des Lumières et avec comme conséquence principale les révolutions américaines et françaises, ait eu une profonde incidence sur le luxe, à la fois sur le plan philosophique et sur le plan économique.