Théorie parasitaire de la formation des perles

Origine parasitaire des perles

L'idée d'une origine parasitaire des perles apparaît vers le milieu du XIXe siècle dans des descriptions de naturalistes, aussi bien en Italie, qu'en Allemagne et en Angleterre. Les observations couvrent surtout les moules d'eau douce, ce qui a fait penser que la perle d'eau douce est d'origine parasitaire. Les savants européens de l'époque devaient se contenter d'un matériel d'observation local, ce qui explique l'importance des descriptions qui couvrent la moule d'eau douce.

Les perles marines venant presque toutes d'espèces tropicales, leur observation était plus difficile. Toutefois, l'observation de parasites au cœur des perles de moules comestibles de Bretagne est publiée dès le début du XIXe siècle.

Il a fallu attendre que des savants partent en mission outre-mer pour que cette observation se généralise au monde marin. C'est en particulier le cas pour les perles naturelles de Tahiti, devenues excessivement rares de nos jours. Mais, au XIXe siècle et au début du XXe siècle, avant l'invention de la perle de culture, les huîtres de Tahiti étaient intensément exploitées pour leur nacre magnifique aux tons irisés. Fatalement, on trouvait des perles dans les huîtres rapportées par les pêcheurs de nacre.

La Nacre et la Perle en Océanie, pêche, origine et mode de formation des perles

Un naturaliste du Muséum national d'Histoire naturelle de Paris, en mission en Polynésie a publié ses observations fondamentales sur les perles naturelles des atolls polynésiens. Il s'agit de Léon Gaston Seurat, en mission durant trois années, de 1902 à 1905 (La Nacre et la Perle en Océanie, pêche, origine et mode de formation des perles, bulletin n° 75 de l'Institut océanographique de Monaco, 1906). Il s'installe aux Gambier, sur l'atoll de Mangareva, et le 9 juillet 1903, il écrit au professeur Guiart du Muséum pour lui faire part de ses découvertes : « Je crois que la formation des perles chez l'huître perlière est due à la présence d'un parasite amphistome dont l'évolution m'échappe jusqu'à présent. »

Un amphistome est un ver plat qui parasite l'appareil digestif de son hôte. Seurat a en effet observé la présence dans certaines huîtres de kystes contenant un petit ver qu'il pense être des larves. Très vite, Seurat oriente ses recherches vers les larves d'un autre type de parasites, un cestode. Le ténia est le plus connu des cestodes. Ce sont des vers qui ont un corps plat, segmenté, et un aspect rubané. N'ayant pas de système digestif, ils vivent de ce que leur hôte a digéré en se fixant dans son tube digestif.

Les segments produisent des œufs (jusqu'à 5 000 œufs par jour). Le cycle de ces parasites qui infestent les intestins de certains poissons d'eau douce et qui auraient un lien possible avec les perles des moules de rivière a mis la puce à l'oreille de Seurat.

Raie léopard

Raie LéopardIl recherche alors des parasites dans les raies, animaux très fréquents dans les lagons, qui dévorent les huîtres perlières grâce à une bouche ornée de pavés dentaires très puissants. Notre savant s'intéresse plus particulièrement à la raie léopard, Aetobatus narinari, dont il découvre que l'intestin contient en quantité des cestodes qu'il va baptiser en 1905 Tylocephalum margaritiferae.

Il parvient à observer et décrire le cycle étonnant de ce ténia de la raie. Les vers adultes vivent dans l'intestin des raies où ils sont solidement accrochés. Là, ils pondent des œufs qui sont évacués dans la mer avec les matières fécales de la raie. On sait que ces raies nagent en rasant le fond des lagons peuplés de bancs d'huîtres qui. en filtrant l'eau de mer, retiennent une partie de ces déjections infestées d'œufs de vers. Ces derniers se développent en larves dans les huîtres qui vont être croquées par les raies. Le cycle est ainsi bouclé.

La présence d'une telle larve parasitaire n'est pas suffisante toutefois pour expliquer la formation des perles. On sait en effet qu'il faut impérativement des cellules épithéliales du manteau externe pour qu'une production minérale puisse être enclenchée.

Seurat remarque que des larves sont emprisonnées dans un kyste, ou encore ont envahi les branchies, ce qui est logique pour une huître qui filtre l'eau. Ces larves-là n'ont manifestement pas déclenché la formation de perles. Ce qui se passe très vraisemblablement, c'est que certaines larves arrivent à se frayer un chemin dans les chairs de l'huître et à pénétrer dans le manteau.

L'huître se protège en isolant la larve dans un kyste formé par les cellules productrices de nacre. Le kyste va se lancer dans la production de matière perlière, une perle va naître. Les larves sont très petites. Elles n'excèdent pas un demi-millimètre. Il n'est donc pas étonnant qu'on ne les observe que très rarement. En 1901, le professeur de l'Université de Lyon, Raphaël Dubois, a expliqué le mode de formation des perles dans les moules comestibles de Bretagne (Mytilus edulis), autour d'un parasite (Congrès d'Ajaccio).

Herdman et Hornell

En 1903, Herdman et Hornell décrivent dans une moule d'eau douce de Sri Lanka ce même genre d'infestation par un cestode d'une autre espèce, le Tylocephalum ludificans. Ce qui est très étrange, c'est que les larves décrites par Seurat sont très spécifiques de l'huître perlière de Tahiti, et n'envahissent pas les autres coquillages.

Résumé de la théorie parasitaire

En résumé, on peut donc affirmer que l'accident biologique qui provoque la formation d'une perle est le déplacement de cellules épithéliales du manteau externe dans la couche interne de ce manteau ou dans les chairs intérieures d'un coquillage. Ce déplacement peut avoir des origines variées allant de l'accident (blessure, attaque du coquillage) au cancer. Mais il semble que la raison la plus fréquente soit le désordre provoqué par l'action d'un minuscule parasite absorbé au cours d'étonnants cycles mettant en jeu les ténias des jolies raies planant au fond des lagons bleus de Polynésie, ou encore les parasites des brochets et des saumons pour les perles d'eau douce.

Cette théorie désormais très bien étayée nous a laissé un texte mi-moqueur, mi-déçu, dû à la plume d'Edmond Perrier, un spécialiste de la faune marine au Muséum national d'Histoire naturelle à Paris :

Hélas ! Pour la confusion de toute poésie, les huîtres porteuses de perles seraient, suivant M. Seurat, des huîtres ladres, et la perle ne serait que le riche tombeau dans lequel demeurent enclos les restes d'un embryon de ténia. Ce ténia aurait lui-même pour hôte définitif une grande raie qui ne craint pas de briser la nacre des Pintadines pour se nourrir de leur chair.

Le problème de la culture des perles

Alors, le problème de la culture des perles serait, si l'on peut dire, tout à la fois complexe et paradoxal. Il faudrait, pour le résoudre, élever ensemble 3 ennemis :

- Des Pintadines que l'on entourerait de sollicitude pour les faire vivre,
- Des raies qui auraient pour mission de les manger,
- Des ténias qui puniraient les raies pour leur gourmandise,

Et de tout cela surgirait la perle radieuse faite pour rehausser la beauté de nos compagnes. (Edmond Perrier, « Le monde vivant. La perle », Le Temps, Paris. 11 avril 1912).

Contribution à l'étude des perles fines, de la nacre et des animaux qui les produisent

Raphaël Dubois

Ce qui reste à comprendre, c'est comment un parasite peut se retrouver entouré de cellules productrices de nacre, alors qu'il est la plupart du temps dans la couche neutre du manteau qui n'en contient pas. Là apparaît une idée émise par le professeur Raphaël Dubois dans sa « Contribution à l'étude des perles fines, de la nacre et des animaux qui les produisent », parue dans les Annales de l'Université de Lyon, fascicule 29, en 1909.

Il est en effet le premier à décrire la formation calcaire d'une perle par des cellules spécialisées qui peuvent migrer par diapédèse. Ce mécanisme est bien connu des spécialistes des divers systèmes immunitaires propres à la vie. Le meilleur exemple qu'on puisse citer est certainement le processus défensif des cellules lors d'une infection bactérienne.

Dans un capillaire sanguin circulent de nombreuses cellules, dont des phagocytes chargés de détruire les foyers infectieux. Alertés par des signaux chimiques, un phagocyte qui passe dans un capillaire à proximité d'un tel foyer s'insinue par déformation au travers des cellules de la paroi du capillaire, et « rampe » vers les bactéries qu'il va phagocyter.

L'observation de Dubois est captivante. Si on l'extrapole un peu, on peut imaginer que lorsqu'un micro-organisme de type parasitique se loge dans la couche neutre du manteau, un signal chimique d'alerte est envoyé en direction du tissu épithélial producteur de matière calcaire. Aussitôt, par un mécanisme analogue à la diapédèse des phagocytes, des cellules productrices de carbonate de calcium « rampent » vers l'intrus, l'entourent et l'enferment dans un « sarcophage » qui deviendra une perle.

Le scientifique remarque que seules les cellules excrétrices de carbonate de calcium sont des cellules migratrices qui progressent vers l'intrus par diapédèse. Les cellules productrices de conchyoline sont pourtant là aussi.

Comment arrivent-elles ?

Pour le moment, la réponse définitive fait défaut. Peut-être est-il judicieux de revenir au principe fondateur de toute science : l'observation ! Microscopes et coupes histologiques ont en fin de compte révélé bien des choses que nos techniques analytiques très élaborées ne nous montrent pas. 


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